Les troubadours et l'influence arabe

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Une communion dans la beauté et l’amour, au-delà des frontières.

Les troubadours 

Tout d'abord, qui était les troubadours ? Des poètes qui, aux XIIeet XIIIes., dans le Midi de la France, composait en langue d'oc des poèmes, satires, ballades, etc., avec leur accompagnement musical, et qui allaient de château en château, propageant les valeurs de la société courtoise. Il n'était pas rare à cette époque de les entendre déclamer des vers arabe aussi surprenant que cela puisse nous paraître aujourd'hui.

Le professeur Christian Coulon s'intéresse tout particulièrement à cette influence dans un chapitre de son ouvrage  " Sud-ouest et monde musulman " publié en mai aux éditions Cairn.

Pour comprendre d'où vient cette inspiration, il nous livre tout d'abord le portrait de l'étonnant Guillaume IX...

Guillaume IX - Le Duc troubadour

Ce Guillaume IX (1071-1127) était comte de Poitiers et duc d’Aquitaine. Un grand de son temps qui étendait son autorité sur un vaste domaine, trois fois plus étendu que celui du roi de France, théoriquement son suzerain. Un personnage politique de premier plan donc en Europe occidentale. Mais il fut aussi et surtout le premier troubadour connu. Le premier à chanter en langue d’oc ce fin’amor, « cet amour parfait qui révolutionna l’image de la dame et de l’amour en faisant de l’aimée cette puissante suzeraine libre de son désir et maîtresse de celui de son amant », écrit Katy Bernard dans le très beau petit
livre qu’elle a consacré à ce fougueux, facétieux et audacieux prince-poète.[...]

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Guillaume de Poitiers est décidément un personnage étonnant, tant de par son oeuvre poétique à la fois libertine et courtoise que de par sa vie qui fut tumultueuse, irrévérencieuse, notamment à l’égard du clergé et de la morale catholique – il fut excommunié deux fois ! –, et intrépide dans les aventures politiques qu’il mena.

Guillaume et les poètes arabo-andalous

Il est évident que Guillaume IX eut à nombreuses reprises à entrer en contact avec le monde musulman, que ce soit lors de sa participation à la Première Croisade en Terre sainte ou encore à l’occasion de ses campagnes militaires au sud des Pyrénées. Il serait étonnant que le poète avisé qu’il était soit resté insensible aux poèmes et mélodies arabes. « L’immersion dans une civilisation supérieure à la sienne n’a pu que l’enrichir » note Martin Aurell. [...] Il ne fait pas de doute que notre duc-troubadour ait été imprégné de cette culture arabe et arabo-andalouse avec laquelle il était familier.
Ses voyages, ses expéditions, ses alliances, ses relations de voisinage, l’ont mis en contact avec un monde musulman qu’il a certes combattu militairement mais qui en même temps a laissé ses traces dans sa vie et dans son oeuvre.

Les troubadours et l’influence arabe en général


Élargissons, pour terminer, notre propos aux troubadours en général. Car si Guillaume IX fut, en l’état actuel de nos connaissances, le premier poète courtois de langue d’oc, beaucoup d’autres suivirent et adoptèrent des genres et des techniques poétiques que l’on peut rapprocher des chansons arabes et surtout arabo-andalouses. Rien d’étonnant à cela, car si la plupart de nos troubadours occitans ne participèrent pas, comme Guillaume IX, à des expéditions guerrières en terre d’islam – à l’exception de ceux qui partirent en croisade, comme Jaufre Rudel ou Giraud de Bourneil – beaucoup fréquentèrent les cours espagnoles de Castille, de Catalogne, de Navarre ou d’Aragon où ils se familiarisèrent avec l’érotique arabo-andalouse.


De nombreux auteurs ont étudié le parallélisme entre la poésie amoureuse arabo-andalouse et celle des troubadours occitans. Certains soutiennent même que trobar, viendrait de la racine arabe drb, frapper, et plus précisément frapper un instrument de musique accompagnant la récitation poétique. Hypothèse sans doute audacieuse ! Plus sûrement, on peut noter ce parallélisme pour ce qui est des personnages et des thèmes, qu’il s’agisse de la nature de l’amour ou du comportement de l’amant. On le constate aussi pour ce qui est de la poétique, car de nombreuses chansons des troubadours ne sont pas sans rappeler cette poésie en arabe classique que l’on nomme muwashshan, ou cette poésie plus légère en arabe dialectal andalou connue sous le nom de zejal.


Réné Nelli en donne un bon exemple à propos de la chanson de Guillaume IX Pos de chantar mes pres talenz (Puisque chanter est mon désir). Il remarque que la forme métrique du zejal (strophe de quatre vers dont le dernier a une rime différente de celle de trois premiers, de sorte que la quatrième rime est répétée dans chaque strophe jusqu’à la fin) ressemble à celle du poème du duc d’Aquitaine. Il observe que l’on trouve une disposition analogue chez d’autres troubadours (Marcabru, Cercamon). Il y a là des analogies saisissantes. « Elles ne permettent pourtant pas, écrit un des grands spécialistes de la culture arabe, Émile Dermenghem, de conclure à une imitation servile, mais bien plutôt à la communication souple et vivante. »  Au fond, les troubadours se sont réappropriés à leurs façons la poésie courtoise arabe et arabo-andalouse, soit qu’ils en aient eu une connaissance directe, soit qu’ils en aient simplement entendu parler grâce aux contacts étroits qu’entretenaient à l’époque les pays d’oc et la péninsule Ibérique. Mais ce qu’il me semble important de retenir, c’est qu’il n’y avait pas entre ces deux mondes de barrières infranchissables, malgré les différences de religion.

Il en résulte que l’Europe ne peut revendiquer à elle seule l’invention de l’amour courtois. Contrairement à ce que disait Ernest Renan dans son Histoire des langues sémitiques (1855), il n’y a pas « un abîme » entre la poésie amoureuse arabe et celle des troubadours. Il y a plutôt un univers partagé, celui de ces poètes fous d’amour et de rimes élégantes. N’en déplaise à ceux qui proclament comme une évidence que l’Europe a inventé la civilisation et que le reste du monde serait condamné à l’imiter.

Écoutons-les donc, pour terminer, ces poètes amoureux.


Ibn Guzman :


« Si anxieux je suis d’obtenir de toi mon désir,
Que mes yeux ne ferment plus pour mon sommeil.
Dieu seul connaît mes pensées et mes sentiments profonds. »


Guillaume IX :


« Qu’ans mi rent e lieise-m liure,
Qu’en sa carta –m pot escriure.
E no m’en tenguats per iure,
S’ieu ma bona Dompna am;
Quar senes leis non puesc viure,
Tant ai pres de s’amor gran fam. »
« Je me rends à elle et me livre,
En sa charte, elle peut m’inscrire.
Et ne me tenez pas pour ivre,
Si je l’aime ma bonne Dame ;
Car sans elle je ne peux vivre,
Tant j’ai de son amour grand faim. »


(Farai chansoneta nueva/Je ferai une chanson neuve)

Communion dans la beauté et l’amour, au-delà des frontières. Cela vaut mieux que les guerres de civilisations...

Si vous souhaitez en savoir plus sur les relations entre monde musulman et Sud-Ouest, nous vous invitons à découvrir l'ouvrage de Christian Coulon, disponible en librairie et sur notre site :

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